Commerce de détail
Francisation
09 juillet 2021

La francisation dans les TI : un avantage réel et virtuel

Par

Anik Pelletier

Le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune au Québec, le français déposé le 13 juin 2021 prévoit que les entreprises comptant de 25 à 49 employé·es seront assujetties aux mêmes obligations que celles qui emploient 50 personnes ou plus. Dans ce contexte, certaines recommandations considérées comme de bonnes pratiques aujourd’hui pourraient devenir des dispositions obligatoires lors de l’entrée en vigueur dudit projet de loi.

Anik Pelletier

Anik Pelletier est vice-présidente du service de Langage de marque chez Bleublancrouge Communications. Elle évolue dans le milieu de la traduction depuis près de 30 ans et s’occupe de questions de francisation depuis plus de 20 ans.

La technologie de plus en plus présente

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la technologie est plus présente que jamais dans nos vies. C’est d’autant plus vrai depuis un an, alors que la vie a pris une dimension virtuelle et que nombre de commerçants ont rapidement dû se tourner vers la vente en ligne pour assurer leur survie. Dans le Portrait du commerce de détail au Québec, publié en novembre 2020 par Détail Québec, on estime que 65 % des détaillants auront fait le virage numérique d’ici 2023, alors que cette proportion était de 36 % avant la pandémie.

L’avenir réside, pour la majorité des acteurs du commerce de détail – propriétaires de commerce, personnel et clientèle – dans l’emploi d’outils informatiques pour leurs activités quotidiennes.  Or, le défi est double pour les commerces au Québec : non seulement doivent-ils s’approprier ces outils adéquatement pour en maximiser le potentiel, mais ils doivent également respecter les droits et obligations linguistiques dans le cadre de leurs activités en ligne.

En effet, au Québec, la Charte de la langue française fait du français la langue officielle du commerce et des affaires. Dans cette optique, les détaillants doivent s’assurer de respecter les droits des consommateurs et consommatrices du Québec. Mais quels sont donc ces droits et comment les détaillants peuvent-ils y répondre dans un contexte où la concurrence mondiale se fait de plus en plus vive? C’est ici, je l’espère, que je vous apprendrai certaines choses utiles à la bonne marche de vos affaires.

Portrait de la clientèle québécoise

Voyons d’abord à quoi ressemble la clientèle québécoise. Alors que les rapports sur le déclin du français dans certaines régions du Québec se succèdent, il peut être surprenant de constater à quel point le français demeure très utilisé en ligne. Une majorité de la population québécoise se tourne vers des ressources en français pour les achats dans l’espace virtuel. En effet, selon Le Panier bleu, 79 % des consommatrices et des consommateurs francophones préfèrent magasiner sur un site en français. « Mettre en ligne un site web en français est un moyen efficace de démontrer à votre clientèle que vous avez sa satisfaction à cœur et que vous êtes en mesure de répondre à ses besoins et à ses attentes. Cela a également l’avantage de faciliter la navigation sur votre site web et de renforcer son attractivité auprès d’une clientèle québécoise. Un énorme atout à faible coût! »

De plus, une étude de 2018 a démontré que le quart des consommateurs et consommatrices du Québec n’utilisent jamais une autre langue que le français pour chercher des renseignements en ligne sur un produit. C’est donc dire qu’en tant que détaillant, si vous n’utilisez pas le français dans vos outils en ligne (site web, site transactionnel, réseaux sociaux), vous risquez de vous priver d’une proportion non négligeable de votre clientèle potentielle. L’utilisation du français pour vos outils technologiques n’est donc plus uniquement une question de loi, mais de gros bon sens.

Voyons donc à quelles règles sont assujetties les entreprises faisant des affaires au Québec, en particulier les détaillants. Croyez-moi sur parole, ce n’est pas aussi compliqué que ça en a l’air.

Tout d’abord une définition

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il serait utile de préciser ce qu’on entend par outils technologiques ou numériques. Dans son guide Je clique en français, l’OQLF définit les technologies de l’information et des communications ainsi : « Il s’agit de l’ensemble du matériel, des logiciels et des services utilisés pour la collecte, le traitement et la transmission de l’information en français. Le mot informatique désigne généralement le domaine des technologies de l’information, et le mot multimédia définit le secteur de l’informatique, qui englobe le monde des communications et des médias interactifs. »

Par matériel, on entend les claviers, imprimantes, télécopieurs et divers périphériques d’entrée ou de sortie de données. Pour ce qui est des logiciels, on fait référence aux logiciels d’application (par exemple : traitement de texte, chiffrier, application de courriel, etc.), aux systèmes d’exploitation, aux didacticiels et aux pilotes des périphériques, entre autres. Les services, eux, désignent les interfaces en ligne qui servent à faire des transactions commerciales, à échanger des documents ou à obtenir du soutien technique.

Outils numériques utilisés à des fins commerciales

Attardons-nous aux outils numériques que vous utilisez pour interagir avec votre clientèle. La loi est claire : être informé·e et servi·e en français est un droit fondamental au Québec. Vous avez donc l’obligation de fournir vos produits et services en français sur vos plateformes commerciales. Votre site web doit être en français. Si, comme beaucoup de détaillants, vous avez adopté le commerce en ligne, vos outils transactionnels doivent être en français, que ce soit vos formulaires de commande, vos descriptions de produits ou services, votre plateforme de paiement, y compris vos reçus, confirmations de commande, suivis de livraisons, etc.

Un aspect qui peut paraître futile et tend à être négligé : les accents. En effet, il peut être décevant ou agaçant pour une partie de votre clientèle potentielle de ne pas pouvoir utiliser des accents (comme é, è, ç) dans vos outils en ligne, vos formulaires de commande, par exemple. C’est sans compter les cas où le système transpose ces accents en une série de caractères inintelligibles tels &;Nsp. Il faut donc redoubler de vigilance dans le choix de vos outils pour éviter de froisser les internautes ou de vous retrouver avec des erreurs dans une adresse, par exemple. Pour en savoir plus sur les caractères spéciaux à prévoir dans vos systèmes, reportez-vous au guide Caractéristiques culturelles et linguistiques du Québec de l’OQLF.

Sans oublier les réseaux sociaux

Si vous utilisez les réseaux sociaux pour faire la promotion de votre entreprise et pour interagir avec votre clientèle, vos publications doivent être au moins en français, mais peuvent être accompagnées d’une autre langue. Cela touche également les informations sur votre entreprise (la section À propos de Facebook, par exemple). Les interactions avec vos abonné·es peuvent se faire dans leur langue de préférence (si vous la maîtrisez, bien entendu), mais si on s’adresse à vous en français, vous devez répondre en français. J’irais jusqu’à dire que ce n’est même pas une question de réglementation, mais bien de respect envers la clientèle.

Vous savez sans doute que la plupart des plateformes de réseaux sociaux offrent la possibilité de détecter votre langue de préférence. Du point de vue des détaillants, cette fonctionnalité est particulièrement utile pour cibler les messages qu’on veut adresser à un profil de consommation ou une géographie en particulier. Ainsi, si vous faites des affaires dans divers marchés, vous pouvez utiliser la détection de la langue pour que votre message se rende dans la bonne langue, au bon endroit.

Mais rien ne vous empêche de tout faire en français; vous contribuerez ainsi à son rayonnement au-delà des frontières de la province. Je vous invite à consulter le guide sur les médias sociaux de l’OQLF pour en savoir plus. Il regorge de conseils et contient même une marche à suivre étape par étape pour créer des comptes en français pour des plateformes comme Facebook, LinkedIn ou Instagram. Bref, n’hésitez pas à consulter les ressources d’organismes comme l’OQLF et le CQCD pour vous guider dans vos efforts de francisation.

Outils de travail

D’entrée de jeu, je dois préciser que nous nous attarderons ici aux entreprises de moins de 50 employé·es, puisque cela touche une majorité de nos lecteurs. La Charte de la langue française impose des obligations additionnelles pour les entreprises comptant plus de membres du personnel. Pour les outils de travail, voici ce que vous devez toujours garder à l’esprit : les travailleuses et travailleurs québécois ont le droit fondamental d’exercer leurs activités en français. Vous avez donc l’obligation de mettre en place des mécanismes et des meilleures pratiques pour protéger ce droit. Et qu’est-ce que ça veut dire, concrètement? Que vous devez fournir le matériel informatique et les logiciels en français aux membres de votre équipe qui travaillent au Québec, à moins qu’il n’existe aucune version française sur le marché.

Si, malgré la multiplication sur le marché des logiciels et applications dans de multiples langues, vous optez pour des versions qui ne sont pas offertes en français, n’oubliez pas que vos employé·es francophones risquent de voir leur productivité affectée au moment d’utiliser des outils de travail dans une autre langue qu’ils et elles ne maîtrisent peut-être aussi bien que leur langue maternelle. C’est un pensez-y-bien dans le monde d’aujourd’hui, où tout doit aller vite et où la productivité est un facteur de réussite en affaires.

Pour un virage numérique réussi

L’OQLF offre un vaste éventail d’outils, comme vous avez pu le constater à la lecture de cet article. En mars dernier, l’Office dévoilait Mémo, mon assistant pour la francisation, soit de tout nouveaux services d’accompagnement destiné aux entreprises employant moins de 50 personnes. L’Office propose également de nombreux outils de référence formidables, comme des lexiques spécialisés, son Grand dictionnaire terminologique et sa Banque de dépannage linguistique.

Vous n’avez pas encore effectué votre virage numérique ou encore vous voulez pousser vos efforts plus loin? Dans le cadre de son programme Le français, au cœur de nos ambitions, l’Office soutient financièrement de nombreux organismes dans l’élaboration de projets favorisant le virage numérique en français dans les entreprises et les commerces. Il peut s’agir de chambres de commerce ou encore de sociétés de développement commercial. Renseignez-vous auprès de ces organismes dans votre région pour en savoir plus sur le soutien offert. 

La francisation complice de votre croissance

Comme vous pouvez le constater, la francisation en technologie de l’information n’est pas aussi complexe qu’on pourrait le penser. En plus de vous permettre de rejoindre une clientèle potentielle non négligeable, elle constitue un véritable atout pour l’avenir de votre entreprise. En effet, si vous visez la croissance, mais que vous ne vous outillez pas correctement, vous risquez de vous heurter à des barrières, puisque les entreprises de plus grande taille ont des obligations plus étendues en matière de francisation. Vous n’êtes pas sans savoir non plus que le gouvernement actuel promet des resserrements à la Charte, notamment vis-à-vis les entreprises de moins de 50 personnes. Alors, comme le veut le dicton : mieux vaut prévenir que guérir!